Le pépiniériste Lilian Bérillon, engagé depuis près de 30 ans dans un autre modèle de production (des plants de vigne), alerte par ce documentaire sur le dépérissement du vignoble et l’importance d’une prise de conscience rapide sur le sujet pour pouvoir pérenniser la production de grands vins identitaires.
Cela ressemble fort à la bataille de David contre Goliath. Dans un monde viticole où, depuis des décennies, la qualité du végétal n’est parfois plus qu’un détail dans l’équation globale, montrer qu’une autre voie est possible relève du parcours du combattant. Depuis les années 1970 en effet, le monde des pépiniéristes a mis en place un système très productiviste, permettant de proposer des plants bon marchés greffés de manière industrielle. « Débourser 1€ ou 1,3€ pour un pied de vigne est devenu la norme » rappelle Lilian Bérillon. Pourtant, derrière ces prix très accessibles, se cache une réalité pour le moins préoccupante. Les plants de vigne clonés fournis, outre leur absence de diversité génétique (et donc leur comportement identique face aux conditions climatiques) s’avèrent généralement plus sensibles aux différentes maladies du bois. Une partie du vignoble français (la situation est exactement la même chez nos voisins italiens ou espagnols) dépérit ainsi rapidement. « Les taux de mortalité observés sont très conséquents dès les premières années, notamment sur les sauvignons blancs et les cabernets, parfois de l’ordre de 2% ou 3% par an » explique Lilian. « Après une vingtaine d’années, les vignerons préfèrent souvent arracher et replanter ». Or, ce sont aussi les vieilles vignes qui permettent d’exprimer davantage de complexité ainsi qu’une vraie identité dans les vins. Qu’adviendra-t-il donc demain quand les vignes anciennes, plantées avant les années 1970 et la généralisation du clonage des plants, mourront ? Et quelle viticulture souhaite-t-on porter aujourd’hui ? C’est là que le projet de Lilian Bérillon prend tout son sens.
Des témoignages de vignerons engagés
Le documentaire « Un point c’est tout ! » est né au printemps 2023. Lilian Bérillon a souhaité pour la première fois donner la parole à des vignerons avec qui il travaille depuis parfois 30 ans pour que ceux-ci puissent témoigner et sensibiliser le monde viticole sur une problématique peu abordée. Célèbres ou non, tous enthousiasment par leurs convictions engagées. Lalou Bize-Leroy (Domaine Leroy), Jean-Louis Chave (Domaine JL Chave), Christine Vernay (Domaine Georges Vernay), Peter Sisseck (Pingus), Hélène Thibon (Mas de Libian), Thierry Germain (Domaine des roches neuves) et bien d’autres encore livrent leur sentiment sur l’importance fondamentale de conserver un patrimoine végétal de qualité dans le vignoble. Des vignes sanitairement irréprochables (les règles chez Bérillon sont extrêmement strictes en la matière), issues de sélections massales de qualité pour pouvoir maintenir une vraie diversité génétique, utilisant des porte-greffes qualitatifs (là encore le sujet n’est jamais abordé) et greffés de manière traditionnelle, à l’anglaise, pour obtenir un végétal capable de vivre 100 ans, comme au début du siècle dernier. Tout cela a évidemment un coût (les plants chez Bérillon commencent à 6€) mais qui devient secondaire lorsqu’on le rapporte au prix de la bouteille, sachant que ces vignes vont vivre 3 ou 4 fois plus longtemps et qu’elles donneront des vins plus identitaires pouvant être mieux valorisés. « A condition évidemment que les viticulteurs respectent le végétal et adoptent une viticulture adaptée et de qualité » souligne Lilian.
Une philosophie pour tous
Il est souvent reproché à Lilian Bérillon d’être le pépiniériste des vignerons stars. C’est un faux procès. Il est celui des vignerons partageant la même philosophie, celle de vouloir pérenniser un vignoble de qualité, recréer les conditions favorables à la possible transmission demain d’un patrimoine végétal robuste aux générations futures et pérenniser la production de grands vins de terroirs. Bien évidemment, nombre de domaines qui bénéficient d’un patrimoine de vieilles vignes font appel à lui pour réaliser une pépinière privée, c’est-à-dire une sélection massale propre que le domaine va pouvoir réutiliser. Mais tout vigneron peut bénéficier de ce projet. Lilian Bérillon et ses équipes ont en effet constitué un conservatoire de 70 cépages différents avec des sélections massales sur de nombreux individus, y compris sur des cépages secondaires que le changement climatique remet sur le devant de la scène pour leur capacité à produire des vins plus frais (terret blanc, pineau d’Aunis, petit meslier…). L’un des freins est l’absence de subventions européennes pour les vignerons souhaitant planter des sélections massales alors que celles-ci existent pour les plantations de sélections clonales. Le monde à l’envers. Ce sujet, et plus généralement ce projet, doit être saisi par les vignerons eux-mêmes, il en va de l’avenir de leur profession.
Jean-Michel Brouard – 20/02/2024
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